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Ça, c'était quelqu'un !
EAN13
9782916400532
ISBN
978-2-916400-53-2
Éditeur
L'Équipe
Date de publication
Collection
L'EQ.DOCUMENTS
Nombre de pages
144
Dimensions
20 x 13 cm
Poids
158 g
Langue
français
Code dewey
843
Fiches UNIMARC
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Ça, c'était quelqu'un !

De

L'Équipe

L'Eq.Documents

Indisponible
CouverturePagetitre

© Éditions Prolongations, 2013

ISBN : 978-2-916-40099-0

PROLOGUE

Twickenham, un samedi après-midi d'hiver.

Le Tournoi des 5 Nations offrait sa tragédie aux rigueurs de l'hiver. Dernier match du tournoi, Angleterre-France devait en désigner le grand vainqueur. Le défilé des voitures de luxe étirait l'après-midi le long des tribunes de Twickenham. Rappelant l'effervescence bonhomme d'avant-match, des papiers gras roulaient sous les Rolls-Royce poussés par la bise piquante venant du nord. La tradition du pique-nique d'avant match avait une fois encore fait recette. De vieilles rombières plissées s'y étaient disputé des hommes pendus à leur cigare et engoncés dans de chic costumes trois pièces. Les bouteilles de champagne avaient fait entendre leur détonation joyeuse aux quatre coins du parking improvisé et avaient été posées sur des tables de camping postées à l'arrière des cabriolets. Juste derrière la rambarde de fer branlante, les cars des deux équipes arrivèrent tour à tour, suspendant mastications et déglutitions.

Le premier joueur à sortir du car bleu roi de l'équipe de France fut le capitaine et troisième-ligne centre Georges Mugar, le Grand Mugar ou « Big Mug » comme disaient les Anglais admiratifs de ce joueur taiseux et puissant dont le regard aigu leur évoquait les dignités perdues dont eux seuls savaient chérir l'absence. Les regards enveloppèrent la silhouette altière de Georges Mugar et l'accompagnèrent jusqu'à l'entrée des vestiaires. Le silence s'imposa.

Quelques jolies jeunes femmes s'écartèrent très légèrement de leurs hommes ventrus. Leur respiration se fit plus ample et plus bruyante, tendant leurs dessous de soie. Les hommes ne remarquèrent rien, absorbés par la bestialité raffinée de ce joueur à part. La plupart d'entre eux étirèrent leur bouche dans une moue virile et approbatrice. Comme intrigué par ce silence attentionné, Georges Mugar ralentit son pas lourd, replaça l'anse de son sac plein de son armure au milieu de son épaule et leva à peine les yeux vers cette assemblée rosie par le froid immobile. Le regard du capitaine français ne remarqua qu'une ou deux silhouettes graciles dont les pupilles se dilatèrent aussitôt. Il accrocha un sourire invisible à sa bouche épaisse et reprit son pas vers l'arène.

Deux heures plus tard, l'équipe de France de Rugby était en passe de remporter le Grand Chelem. Neuf à sept pour les Bleus à cinq minutes du coup de sifflet final. Un Up and Under au cordeau du demi d'ouverture anglais s'éleva dans le ciel londonien et s'y attarda avant de redescendre. Tels des chiens affamés, les deux flankers anglais calquèrent leur course sur celle du ballon. Ils ralentirent un peu afin de pouvoir accélérer sur les derniers mètres et infliger les plus grands dommages au dernier défenseur français, Georges Mugar en l'occurrence. Celui-ci regarda le ballon flotter encore et encore. Il ouvrit les bras en un berceau royal et contracta jusqu'à sa dernière fibre musculaire. Les flankers arrivaient. Il ferma les yeux. Le stade de Twickenham se resserra autour de lui afin de l'acculer un peu plus. La victoire anglaise passerait sur le corps martyr du capitaine français.

Le Grand Mugar eut à peine le temps de sentir le contact du cuir sur ses mains. Un immense choc l'obligea à porter un genou à terre. Il entendit un énorme craquement sur son côté droit. Il aperçut le premier Anglais allongé sur le sol, inanimé, le visage couvert de sang. Le second plaqueur se planta à son tour dans son flanc meurtri où, déjà, une de ses trois côtes brisées par le premier impact perçait la peau. La douleur fut intense. Georges Mugar hurla sous le coup de boutoir. Il lui sembla se briser comme un vase.

Rien n'expliqua l'incroyable force qui maintint Georges debout, balle en main, et qui permit à la France de préserver sa victoire.

Le lendemain la presse anglaise titra : « Lord Big Mug ».

1

12 h 23'00''

Vingt ans plus tard, centre Leclerc de Saint-Médard-en-Jalles, Gironde

Ce lundi d'un automne particulièrement long, Georges compressait ses 135 kilos décatis dans un maillot et un short au bord de la rupture. Les couleurs de la tenue choisie pour cette animation commerciale par les conserves « Le Pouton » n'appelaient pas à la discrétion. Un orange vif se laissait grignoter par des lettres bleu électrique gravant l'antienne de la marque : « Les conserves Le Pouton, les conserves fabriquées comme à la maison. »

Les bourrelets de Georges ne parvenaient pas tous à s'imposer sous le tissu et l'obligeaient à abandonner une partie de son ventre à l'air libre, exhibant nombril, poils et quelques boutons infectés. Assis sur un tabouret à vis, en short et chaussettes blanches, il arborait une vieille paire de chaussures à crampons, achevant de donner au tableau un air désolé.

Arrivé quarante-cinq minutes auparavant au terme de deux heures de route ennuyeuse, il avait installé lui-même l'affiche cartonnée sur laquelle sa tête barrée d'un sourire vantait les mérites desdites conserves en compagnie d'un cochon avec lequel il partageait l'image de la marque. Georges disposa son petit stand constitué d'une table, d'un tabouret, de l'affiche, d'un empilement de boîtes de conserve minutieusement érigées, à l'endroit convenu entre le commercial de la maison et le directeur du supermarché.

Malgré sa demande insistante, et comme souvent, ces crétins l'avaient placé entre les salaisons et les fromages. Cela le mit de mauvaise humeur. Il était rémunéré à la boîte vendue et son cœur de cible, l'abruti mâle de 20 à 70 ans, se capturait ailleurs. Il avait remarqué au tout début de cette carrière de tête de gondole que, paradoxalement, les alentours des rayons automobile et bricolage abritaient les meilleurs postes pour cette pêche de camelot. Là, il ramassait dans ses filets de nombreux spécimens se collant à lui, l'ancien champion des terrains, comme des mouches sur ces serpentins d'un ocre luisant que sa grand-mère suspendait au plafond de son salon.

Jusqu'à ce qu'il embrasse cette pitoyable carrière de vendeur de pâté moins d'un an auparavant, le lundi était pour Georges un jour mort. Un jour où rien d'important ne pouvait se passer. Du temps où il jouait au Rugby, on « récupérait », on allait chez le kinésithérapeute tenter de réparer ce qui le nécessitait et pouvait encore l'être. On allait se tremper les cuisses dans des bains glacés ou brûlants, cela dépendait des modes. Le lundi attendait le mardi, jour du premier entraînement. Puis venait le mercredi où se dessinait déjà l'équipe du dimanche dans le match en opposition. Le jeudi était un jour de repos, mais plein. Plein des espoirs de faire partie du voyage, plein des craintes que pouvait inspirer l'adversaire. Ensuite arrivait le week-end, avec match le samedi ou le dimanche. Le week-end était l'épicentre de tout. La préparation du match occupait l'espace et le temps. Chaque seconde était pleine de mille choses à penser et à faire. Tout le monde s'activait autour de lui, et lui autour du monde. Le match arrivait enfin, massif, exaltant, et l'après-match comblait le reste. Toute la vie de Georges s'y condensait. Un des premiers chocs de l'après-carrière fut le gouffre qui s'ouvrit au pied du vendredi. Le samedi et le dimanche devinrent deux infranchissables sables mouvants que rien n'asséchait. Le lundi, aujourd'hui comme hier, était le seul jour où il ne se passait rien. Théoriquement.

Même devenu entraîneur (contre quelques billets et un plat du jour tous les midis sauf le dimanche au Bar de la Poste) d'un club de Fédérale 3, soit cinq divisions en dessous de l'élite parmi laquelle il vécut pendant plus de dix ans, Georges faisait relâche le lundi.

Son emploi du temps n'avait changé que le jour où le nouveau Président du Club, un jeune chef d'entreprise autodidacte et menteur, l'avait fait venir dans le bureau de sa fabrique de conserves. Se prétendant ému par des rumeurs courant sur les difficultés de Georges et flairant le bon coup commercial, il lui demanda pourquoi l'ancienne équipe dirigeante l'avait laissé tomber si bas. Georges baissa les yeux et prit la défense de son ancien Président. Il ne lui en voulait pas. Ce poste d'entraîneur qui...
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